Ruelle

Ça y est. L’automne est bien installé. La nuit tombe tôt. Au sortir du yoga, je dois me farcir le trajet jusqu’à chez moi… de nuit. À pied évidemment. Les copines me disent que je râle pour un rien. « La ville installe les illuminations de noël et tu peux regarder les vitrines en passant, c’est chouette ! »

Chouette ? Faut peut-être que je fasse plus de yoga pour me détendre, parce que je ne trouve pas ça « chouette ». Les vitrines ? Société de surconsommation. Les décos de noël qui illuminent la ville ? Une dépense scandaleusement inutile d’énergie.

Toute à mes fulminations, je chemine. Le centre est derrière moi. Encore une ruelle à longer avant d’atteindre ma destination. Bougonne, je remarque que le candélabre est éteint.

Ça passe des heures à installer des loupiottes qui ne servent à rien, mais les lumières importantes, celles-là, on ignore qu’elles ne fonctionnent plus !

J’enfonce un peu plus ma tête dans mon bonnet et je tire la langue au réverbère… qui reste stoïque face à mon mécontentement.

Tac… tac… tac…

Je perçois un pas derrière moi. Je m’arrête. Le pas m’imite. Je reprends la marche. Le pas redémarre. Je me hâte. Le pas aussi.

Tac… bang… tac… bang… tac… bang…

Mon cœur accélère. Le pas s’emballe. Il va me rattraper. Je ne veux pas. Pas avant d’être à la maison.

J’ai chaud. Je crois bien que mes joues s’enflamment. J’ai reconnu ce pas. Il ne doit surtout pas me rattraper. Je tente une augmentation subtile de ma vitesse, pour que l’écart entre nous ne s’amenuise pas… sans dévoiler mon embarras.

Tac… tac… tac…

La pression monte. La peur qu’il me rejoigne aussi. À cet instant, les effets du yoga se sont évaporés, les vitrines ont baissé le rideau et les illuminations sont parties aux oubliettes. Plus rien d’autre que ce pas indésirable ne compte.

Je suis bientôt arrivée chez moi. Le pas se presse. Je crois qu’il court. Mon cœur s’emporte.

Tac-tac-tac… tac-tac-tac… tac-tac-tac

Cet idiot va me rattraper à deux pas de mon portail.

Bang-tac-bang… bang-tac-bang… bang-tac-bang

Mon cœur cogne fort, mes artères me déchireraient volontiers la gorge. Je me rends compte que je cours depuis plus de cent mètres.

Tac-tac-tac… tac-tac-tac… tac-tac-tac

Ça y est ! Il arrive à ma hauteur. Je suis fichue. Je n’y échapperai pas.

Tac-tac-tac… tac-tac-tac… tac-tac-tac

Il me double, effectue un demi et… l’œil irradiant la joie, dépose sa balle devant moi.

Je me fige et soupire. Le voisin a encore laissé son chien vaquer dans le jardin et, en m’entendant, ce cabotin a transgressé l’interdiction de sortir pour m’accueillir.

Sa langue pendouille et danse au rythme de sa respiration. Il a baissé la tête, tiré ses oreilles en arrière. Il est prêt. Il attend que je shoote dans son jouet et…

Comment résister ?

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